Récit de voyage.

A bord du Majestic River sur le Fleuve Congo

Impeccables dans leur uniforme blanc de marin, les matelots du Majestic River ont fière allure. Placés en haie d’honneur à l’entrée de l’embarcadère, ils accueillent un à un, les invités conviés à la croisière. Un voyage de quinze jours qui doit conduire une vingtaine de privilégiés du port de Kinshasa à celui d’Akula situé dans la province de l’Equateur. Un périple de plus de 1100 kilomètres à remonter le fleuve Congo et un de ses affluents, la Mongala. Une première pour le Majestic River.

Long de 45 mètres, le bateau est un vrai mastodonte. Il compte trois ponts. Le premier abrite les cabines où tout est prévu pour le confort des passagers. Chaque cabine a ses sanitaires privés, un frigo garni de boissons fraiches et bien sûr la climatisation. Attachée au-dessus du lit, une moustiquaire est là pour protéger le sommeil des passagers. Sur le deuxième pont, encore quelques cabines mais surtout le cœur de la vie sociale du Majestic River, son bar, son salon et sa salle à manger prolongée par une terrasse avec des chaises longues et trois vélos d’appartement. Histoire en pédalant, de donner un coup de pouce et faire avancer le navire dont le capitaine dirige la manœuvre depuis troisième pont.

Pour ce voyage, rien n’a été laissé au hasard. Des équipements sophistiqués comme par exemple un sonar sont là pour aider le capitaine et ses officiers à la navigation. Dans chaque cabinet, des gilets de secours dernier cri. Bouées, canot de sauvetage et un hors bord complètent les mesures de sécurité.

Pour le confort des passagers, une station d’épuration a été installée à bord. Elle produit 800 litres d’eau potable par heure. Pompée directement dans le fleuve, l’eau est propre à la consommation. Un luxe qui permettra à tous les passagers d’éviter des problèmes intestinaux.

Côté approvisionnement, on ne manquera de rien. Frigos et congélateurs sont remplis de victuailles. Aux fourneaux, officient certains parmi les meilleurs cuisiniers de Kinshasa. Au niveau des boissons, rien n’a été oublié. D’autant qu’il y a trois anniversaires et une mise à la retraite à fêter, sans compter le passage de la ligne de l’Equateur. Et par chance, parmi les invités, un cadre de la sucrerie de Kwilu. Tout au long du voyage, il se fera un plaisir de nous faire découvrir des cocktails surprenants à base d’un rhum produit en RDC.

Tout est prévu pour faire de cette croisière une réussite. Mais il reste malgré tout quelques points d’interrogation. Comment va se comporter le Majestic River face au fleuve Congo ? Lequel des deux va apprivoiser l’autre ? Entente cordiale ou affrontement ? Et les invités ? Ils viennent d’horizons différents. Certains vivent en RDC, d’autres n’y ont jamais mis les pieds. Personne parmi nous n’a jamais remonté le fleuve. Allons-nous nous entendre, partager, vivre ensemble ou par petits groupes une aventure qui, malgré un confort certain, reste malgré tout une expédition ? L’alchimie entre les hommes et les éléments naturels réussira-t-elle ? C’est le pari, le défi que se sont lancé Jean-Claude Hoolans et son épouse Yvette.

Sans nous poser toutes ces questions, nous montons à bord le 21 juillet peu avant minuit. Demain, c’est le grand jour. Le Majestic River lève l’ancre à 5h. Sans s’être concerté, tout le monde est sur le pont avant pour assister au départ. La nuit ne s’est pas encore effacée. Kin la belle garde encore son manteau de lumière artificielle. Dans le noir, se découpent illuminés quelques bâtiments comme celui de l’ONATRA sur le boulevard du 30 juin. Nous sommes en saison sèche. Sur le fleuve, il fait froid. Un pull est le bienvenu. Une surprise pour certains qui découvrent le pays. Eh oui, il peut faire froid sous les tropiques.

Le fleuve est large, majestueux. Au centre le courant est puissant. Le capitaine fait rugir les moteurs du Majestic River. Les chevaux ont beau se déchaîner, on ne dépasse pas les 7 kilomètres heures. Une moyenne que l’on gardera durant tout le périple. Cet accord tacite entre le fleuve et le bateau nous obligera de naviguer aussi de nuit. Surtout les derniers jours, où nous profiterons de la clarté de la pleine lune pour arriver comme prévu à destination.

15 jours de communion entre le fleuve et nous. 15 jours d’une partition jouée par une vingtaine de personnes différentes mais respectueuses chacune des autres. Un voyage sans anicroches et en compagnie d’un équipage hors pair. Pari gagné pour Yvette et l’amiral !

Le bonheur total à respirer le vent du fleuve, à s’émerveiller devant ses beautés, à craindre dans le chenal son courroux en sentant sous la coque la fougue de ses eaux. La joie de parler de Stanley et de son courage au passage d’un phare qu’il aurait fait construire pour signaler un passage dangereux. Des heures à s’extasier devant la dextérité et le courage de ces piroguiers, chevaliers des flots, toujours prêts à nous vendre du poisson frais à un prix de …touriste.
Des petits pincements à l’estomac avec ces militaires qui montent sur le bateau pour vérifier si tout va bien mais également pour étancher une petite soif…

Etonnamment sur le fleuve, il n’y a pas beaucoup de trafic. Mais le spectacle des bateaux qui le montent ou le descendent est haut en couleurs. Le plus souvent vétustes et toujours surchargées de marchandises, d’hommes, de femmes et d’enfants, ces barges n’arrivent à bon port que par miracle. Nous croisons des familles qui vivent sur des radeaux de bois. Portés par le fleuve, elles atteindront le port de Maluku où elles vendront leur bois.

Dans cette immensité d’eau où pendant des jours on ne voit que comme seules rives celles des iles qui parsèment le fleuve, la vie s’écoule paisible. Depuis des villages de pêcheurs aux huttes construites sur pilotis pour se protéger de la montée des eaux, des enfants agitent leurs mains et saluent le Majestic River. Son passage ne passe pas inaperçu. De jours en jours, le nombre de pirogues qui viennent à notre rencontre ne cesse d’augmenter comme si sur le fleuve aussi le tam-tam fonctionnait. Beaucoup de piroguiers cherchent à nous accoster. Poissons, légumes, ici, tout est frais. Tout est bio. Reste à marchander, toujours dans la bonne humeur. Une fois cuisinés, ces poissons aux noms et saveurs inconnus raviront nos papilles. Un vrai régal.

Les heures et les jours s’écoulent au fil de l’eau et des paysages.
Le spectacle de la vie du fleuve occupe la plupart de notre temps. Les plus courageux font du sport alors que d’autres, allongés sur une chaise longue, les regardent transpirer. Un peu de lecture aussi. J’avais pris quelques livres, je n’en ai pas terminé un seul ! La nuit tombée, après le dîner, on se retrouve autour de jeux de société ou pour de mémorables karaoké ponctués de fou rire contagieux. Un cigare, un dernier whisky ou une Primus sur le pont pour écouter le silence de la nuit africaine. Puis le sommeil qui vous cueille. Demain est un autre jour.

L’Equateur est en vue. Les fidèles de Mamy Wata organisent le passage de la ligne. Une cérémonie initiatique, bonne enfant réussie par tous les participants et officialisée par la remise d’un superbe diplôme.

Nous arrivons à Mbandaka, la capitale de la province de l’Equateur à la nuit tombée. Pour la première fois depuis 10 jours nous descendons à terre. Les autorités locales ont organisé une réception en l’honneur de l’arrivée du Majestic River. Le gouverneur nous reçoit à sa résidence. Discours de bienvenue, danses folkloriques, discussions de travail avec certains ministres et opérateurs économiques avant de retourner en convoi au port pour faire découvrir aux autorités locales ce bateau qui bientôt devrait aborder régulièrement à Mbandaka.

Le voyage lentement mais surement se termine. Encore deux, trois jours hors du temps. Les paysages changent. La forêt qui borde les rives, semble de plus en plus impénétrable. Sur des kilomètres, il n’y a pas âme qui vive. La nature règne en maitre. La main de l’homme n’a pas encore dompté ces étendues vierges. Bientôt l’estuaire de la Mongola. L’heure de vérité pour le Majestic River, jamais un bateau de cette taille n’a remonté la Mongala. Tout le monde est sur le pont. Plus que quelques heures d’une navigation difficile. Après ces journées passées sur le fleuve, la rivière nous paraît étroite. Les villages de pêcheurs semblent à porter de mains. Des dizaines de pirogues nous entourent. Equipage et passagers distribuent des casquettes. Les enfants comme les adultes tous se précipitent pour recevoir ce couvre-chef.

La rivière est en fête. L’arrivée du Majestic River se répand au fil de l’eau. Akula est en vue. Sur le port, les autorités civiles et militaires ainsi que toute la population attendent depuis des heures. Enfin, il est là ! Le Majestic River est arrivé. Il a relevé le défi. Il nous a amené à bon port !

Pour nous, c’est la fin d’une l’aventure inoubliable à jamais gravée dans notre mémoire.

Le bar restaurant du Majestic River

Barge de transport de marchandises

Commerce avec les pêcheurs locaux

Village de pêcheurs sur pilotis

Les diplômés du passage de l'Equateur

Radeau de grumes descendant le fleuve

Un silure énorme pêché dans le fleuve congo

Port sur la rive du fleuve

Embaracation habitation flotante